ÉDITORIAL
Vivre libres ensemble
Francophonie, oui toi! Ne fais pas l’étonnée, je t’ai interpelée. Sache que tu es plus qu’un mot. Tu viens de très loin, d’une raison pratique dans un XIXe siècle au tout mathématique, où Onésime Reclus, un géographe obscur, t’identifia enfin, te donna la piqure. Le mot « Francophone », gommant les différences, caractériserait toute femme, hors de France, tout homme, tout enfant qui parleraient français. Héritage des colons ou choix libre et balancé. Grâce à lui, tu naquis une première fois.
Après huit décades de mémorable oubli, quand ce régime-là périt, fut englouti, il laissa sur le rivage d’Afrique l’homme nu, lui cédant en partage les églises et avenues, une administration, une langue à tout jamais, satanée turgescence qu’on ne pouvait couper sans se vider soi-même de son essence sciée. Les plus grands, les poètes, présidents mémorables d’une jeune Afrique pleine d’espoir incroyable, gardèrent le français comme une fierté. Comment nier cette part de leur identité? Grâce à eux, tu naquis une deuxième fois.
Puis la francophonie devint Francopho-nie. Les années soixante te virent t’épanouir en organisation, de haut en bas et même dans toutes les directions, où on sème, où on s’aime. Tu plantas les germes sur tous les continents d’une conscience unique, tu éclairas, brillas, irradias nos cœurs veules pour insuffler de quoi nourrir nos sales gueules devant le désastre d’une invasion barbare, que seuls tous ensemble sans faire les flambards, avec nos différences, nous pourrions affronter. Grâce à toi, cette fois-là, nous retrouvâmes la foi.
Aujourd’hui, quand je vois un jour, une semaine, un mois, ou parfois plus, dédié à ce qui nous mène, à cette francophonie qui nous colle à la peau, sans nous faire défaut, qui nous fait un chapeau de plus, une couleur différente sur tous les continents, ça me fait chaud au cœur en ces temps chagrinants. Concours de photos, de vidéos, de poésie, constructions artistiques, concerts pour tous gratuits, belle mosaïque de la diversité, à l’heure du monde, de l’uniformité. La journée du 20 mars, on l’oublie trop souvent, elle est à nous, pour tous, ouverte aux quatre vents : « Fête internationale de la Francophonie ». Voilà la symphonie qui rime en harmonie, grâce à elle, à chaque année, on se retrouve une fois…
S’en souvenir un jour, te vivre à chaque fois, chère Francophonie, ne serait-ce donc pas le défi le plus grand qui arrive à grands pas? Musique, cinéma, télé, radio ou autre, ce regard vers l’anglais nous écarte des autres. Pensez-y pour de vrai : qui pourrait se vanter d’optimiser au mieux nos belles qualités, d’être aux deux hémisphères ? Allez donc faire un tour, allez voir l’OIF (Orga-nisation internationale de la francophonie). N’en déplaise aux fâcheux, leur site web en relief, d’une voix convaincante, montre à voir l’ineffable joie de n’être plus seul, mais foule de semblables, un fil invisible entre nous déployé à parler le français à en faire notre foyer. Sans parler d’exclusif, disons qu’on se voit combattif, alternatif, lascif et peut-être éducatif, car parler le français, c’est apprendre à vivre ensemble, mais différents, apprendre à être libres. Grâce à vous, grâce à nous, pluralité des voix.