ÉDITORIAL
Vroum! Vroum!
À Aylmer, l’été, c’est le marché à ciel ouvert, les concerts, les terrasses, les sandwichs, les crèmes glacées... Comment résister? La plupart d’entre nous, y compris moi, n’y résistons pas d’ailleurs. Alors, nous nous promenons à la brunante ou à toute heure de la journée pour profiter des bienfaits de notre communauté. Nous marchons, ou plutôt deux fois qu’une, nous essayons de marcher à nos risques et périls.
En effet, être piéton est devenu un sport extrême. Depuis des années, des citoyens se plaignent du peu de considération que les automobilistes ont pour eux. Comme cette personne, dans les archives du Bulletin, qui décrit comment les personnes âgées venant du Monastère pour aller vers les galeries d’Aylmer semblent être des cibles vivantes pour les voitures qui descendent en direction du centre-ville… Elles accélèrent même parfois, malgré le passage piéton. Pourquoi ne peut-on installer un feu qui passerait au rouge seulement sur action d’un piéton?
Non loin, sur la Principale, je passe régulièrement d’un trottoir à l’autre, en slalomant entre les voitures qui arrivent des deux directions à bon rythme, pour aller de Cassis à la boulangerie des Deux Frères… ou je me stationne dans les petites rues du Vieux-Aylmer avant d’aller chez à Antonyme ou à Sérénithé. Je ne suis pas seul : ce tronçon de rue, entre la rue Frank Robinson et le chemin Eardley est ultra fréquenté. Mais pas de passage piéton. Et pourquoi ne pas installer un feu qui passerait au rouge seulement sur action d’un piéton?
Toutefois, l’attitude des conducteurs ne me paraît être que la partie visible et superficielle du problème. Le fond du problème est la place que l’automobile (et par extension, les véhicules à moteur) occupe dans notre culture, dans nos mentalités, dans nos vies. Qui ne rêve pas aujourd’hui d’avoir une deuxième voiture, un bateau (à moteur), un quad ou une moto pour l’été, un skidoo pour l’hiver? Si vous regardez la télévision traditionnelle, vous avez certainement remarqué qu’une publicité sur deux concerne une voiture. Pourquoi? Certains me rétorqueraient qu’avant la voiture, il y avait d’autres véhicules de transport sans moteur, dont l’objet était déjà de faciliter la vie des gens, après tout.
Mais attention, déjà au XVIIIe, des accidents surviennent entre « voitures » et piétons. Le Journal de Paris en date du 1er juillet 1785 relate « qu’un homme qui tirait une petite charrette a été accroché et renversé par un cabriolet ». Et là, à cette époque, pas de trottoir, pas de permis de conduire, pas de code de la route. Un enfant pouvait mourir écrasé sous les sabots d’un cheval pour avoir traversé la rue au mauvais moment.
Aujourd’hui est-ce si différent sur nos larges rues, avec nos conducteurs disposant du permis de conduire? Avons-nous plus de considération envers les gens qui marchent ou qui circulent à vélo? Sommes-nous tellement plus sages derrière nos vitres automatiques, dans nos habitacles insonorisés et climatisés? Lorsque, résultat improbable d’un festival de rue, d’une manifestation, nous avons l’opportunité de marcher sur le bitume hors des trottoirs, dans la rue, quel plaisir ineffable! Nous avons le sentiment de reprendre le contrôle de notre espace de vie et, disons-le, de notre existence.
Alors, je serais tenté de dire que le petit enfant qui fait vroum, vroum avec sa voiture dans le bac à sable, en imaginant des courses de vitesse est le même qui accélère dans la ligne droite, à la vue du petit vieux qui traverse sur le passage piéton en bas de Wilfrid Lavigne. Après tout, notre cerveau d’Homo Sapiens sapiens n’a guère changé depuis 200 000 ans.