ÉDITORIAL
Haro sur les trolls!
Tiens, un sujet léger, le troll, cette bébête de couleur à la coiffure verticale aussi haute que sa taille est petite! Il nous est présenté comme l’« être le plus joyeux et affable de l’univers ». Vos enfants en ont tous au moins un, non? Ou bien est-ce un troll façon Harry Potter : une créature dégingandée, cinq fois plus grande qu’un humain, au QI de 20 et de la morve duquel Harry se retrouve maculé dans L’École des sorciers. Chez Tolkien, qu’il vienne des montagnes, des collines ou des cavernes, il est tout aussi grand, laid, abruti et méchant… et termine parfois statufié!
Cette créature agressive, irritante, mais peu dangereuse au fond, existe depuis longtemps dans le folklore scandinave, mais a reparu dans l’actualité quelques années passées. Ces derniers mois, il a rejailli en force. Désormais, le troll fait déraper les discussions sur les médias sociaux et pires encore. Rappel sur le contexte : Judith Lussier, pendant sept ans chroniqueuse dans le magazine irrévérencieux Urbania, et avant cela à Metro, a exprimé son opinion, discuté et défendu les femmes. Et pendant tout ce temps, elle a reçu en retour des commentaires insultants, auxquels elle a répondu courageusement. Jusqu’à aujourd’hui. En effet, elle vient de démissionner, simplement épuisée par ce combat.
Comme d’autres : plusieurs professionnelles des médias (journalistes, chroniqueuses, blogueuses) ont avoué publiquement ces dernières semaines subir le même sort. Je ne reproduirais pas dans ces lignes les insultes qu’elles reçoivent, mais en gros il ne s’agit plus de discuter de ce qu’elles écrivent, mais de s’attaquer à ce qu’elles sont. Mêlant paternalisme, misogynie, mauvaise foi, humiliation, les harceleurs s’en prennent à leur physique, à leur intelligence, à leur orientation sexuelle… Pourquoi s’attaquer (plus rarement et plus poliment) aux hommes pour ce qu’ils disent et aux femmes parce qu’elles parlent?
On peut donc dire n’importe quoi sur les médias sociaux, à moins de défendre Hitler, Staline, d’inciter à la haine ou de prôner le terrorisme. Mais insulter les femmes, on peut. Même avec un QI de 20. Comme un troll, quoi, au mépris des modérateurs et de la loi qui interdit et réprime de tels agissements.
En fait, on parle de « trolling » comme d’un sadisme ordinaire : faire souffrir au quotidien. Une étude de l’université du Manitoba auprès de plus de 1000 internautes démontre que plus la personne est pure, plus la corrompre est jouissif. Les trolls veulent faire taire. Les journalistes surtout : une autre étude du Washington Post montre que les femmes journalistes recevaient trois fois plus de tweets haineux que leurs collègues. L’anonymat, la distance, libèrent nos instincts, notre méchanceté; on se croit à l’abri.
Certains répondront qu’il est possible de réduire l’impact du troll, de désamorcer son agressivité, quand le journaliste s’implique dans la discussion, ou encore en éditant les commentaires négatifs plutôt qu’en y répondant. Mais certains trolls ont un QI de 50 : ils peuvent commencer par des remarques anodines pour ferrer le poisson, avant de passer à la vitesse supérieure.
Que faire alors pour empêcher ces personnes désagréables et mesquines de sévir sur les réseaux sociaux, à la manière de leurs homologues du Seigneur des anneaux à la recherche de chair fraîche à se mettre sous la dent? Empêcher l’usage des pseudo? Limiter encore davantage la liberté d’expression par des lois ou en interdisant les commentaires? Des personnes telles que Jimmy Wales, fondateur de Wikipédia, ont préféré proposer un code de conduite… rapidement réprimandée et repoussée par ceux qui défendent la liberté d’expression ou qui auraient trop à perdre de nouvelles règles. Ne reste que l’éducation…