ÉDITORIAL
Jusqu’où aller pour sa liberté ?
Franchement, j’ai pitié. Oui. Vous avez bien lu. Il était difficile de ne pas aborder LE sujet d’actualité du moment dans la région, d’abord, parce que vous en avez peut-être subi les conséquences, ensuite, parce que les causes qui le sous-tendent sont véritablement problématiques.
Au départ, il y a une grève planifiée pendant des semaines par des chauffeurs de camion de l’ouest (principalement), assortie d’une manifestation qui se finirait à Ottawa. Motif : Le gouvernement du Canada a demandé aux camionneurs long-courriers une preuve vaccinale pour pouvoir traverser la frontière avec les États-Unis sans quatorzaine. À noter : la mesure est déjà appliquée aux États-Unis et cinq chauffeurs sur six au Canada sont déjà vaccinés.
Puis s’est greffée une manifestation de soutien au mouvement, dont les deux organisateurs principaux sont les Albertains Patrick King, fondateur de Wexit Canada (devenu le Maverick Party) et Tamara Lich, professionnelle du secteur des hydrocarbures. Ils sont tous deux de grands défenseurs de la thèse du « Grand remplacement » et du « génocide des blancs ». Leurs ennemis ? Les « antifas » (comme si être antifasciste était une insulte), les journalistes, les « libéraux » (comprendre : tous les gens qui votent à gauche du Parti populaire de Maxime Bernier) et plus généralement, tous les tenants de l’État-providence. Là, on ne joue plus dans la même catégorie, on peut carrément parler de récupération politique.
Enfin, tout au long du parcours, et même depuis l’arrivée des premiers camions vendredi dernier, se sont ajoutés quantité d’individus aussi divers que des vaccinés tannés des mesures sanitaires, des sceptiques de la vaccination — mais vaccinés — des « antivax » purs et durs, des idéalistes épris de liberté individuelle, des anarchistes, des néonazis ou encore des suprématistes blancs « confédérés » (au Canada, en 2021 !!!). Bref, toute une palette de Canadiens aux motivations hyperdifférentes, mais réunie par l’urgence de se faire entendre, de manifester leur mécontentement, leur ras-le-bol de… de… Et bien, c’est confus, justement : de la vaccination ? Du port du masque ? De la distanciation ? Du lavage de mains ? Du couvre-feu ? Du confinement ? Des mesures contre la COVID-19 ? De l’ingérence gouvernementale dans nos existences ? De tout ce qui entrave notre liberté ?
En tout cas, ce mouvement a récolté en moins de deux semaines plus de cinq millions de dollars par quelque 60 000 donateurs de partout autour du monde ! Moi qui ai de la difficulté à récolter quelques milliers de dollars pour payer un avocat en immigration à mon ami burkinabé qui cherche à venir chez nous… J’aimerais bien connaitre la formule ! Si je vous dis que c’est pour sa liberté (d’expression, de circulation, de pensée), son droit à vivre en sécurité et en santé, à offrir une éducation à ses enfants, vous donnerez ?
Franchement, je les plains tous nos concitoyens qui supportent ce mouvement. Je les plains et je les comprends : il faut vraiment être désespéré-e pour s’associer à la clique la plus réactionnaire, la plus populiste et la plus antidémocratique que notre terre ait portée depuis le siècle dernier comme unique solution au sentiment d’injustice qui nous étreint devant les inégalités de plus en plus criantes de notre société. Malheureusement, la tendance est lourde, internationale et durable. Nos gouvernements devraient donc surtout se demander pourquoi et comment nous en sommes arrivés là, pour éviter d’être submergés par la vague dans les années à venir…