LETTRE
L’art d’accoucher d’une souris tout en continuant de retarder des mesures
contre les proxénètes !
Après un travail de 2 ans sur le terrain, à rencontrer des victimes de traite de personnes, des groupes de femmes, des enquêteurs spécialisés et des juristes, j’ai déposé le 16 octobre 2012, à la Chambre des communes, le projet de loi C-452, Loi modifiant le code criminel (exploitation et traite de personnes). Son objectif : donner des outils aux policiers et protéger les victimes.
Le 18 juin 2015, ce projet de loi – voté à l’unanimité par tous les partis – devient une loi puis, pour être mise en application, attend le bon vouloir du gouvernement Trudeau. Cette loi permettrait aux services de police de procéder à des arrestations sans le témoignage des victimes, de confisquer les biens criminellement obtenus par les trafiquants et d’octroyer des sentences plus sévères. Un simple décret qui établit la date de mise en vigueur de cette loi. La signature de la ministre de la justice aurait été un baume sur le cœur des victimes. Aucun besoin de repasser devant le Parlement ! Un geste simple d’une importance vitale!
Au lieu de cela, le gouvernement Trudeau a prétexté que les peines consécutives contenues dans cette loi seraient inconstitutionnelles ! Je me souviens de l’époque où on disait que la loi antigang était inconstitutionnelle…pourtant elle a été validée par la Cour Suprême ! Rappelons que le Barreau du Québec avait donné son appui non équivoque. Plus encore, la peine consécutive est loin d’être une innovation. En exemple, il existe une peine consécutive pour la protection d’animal d’assistance policière (Art 445.01 (3) C.Cr.). Ce qui est bon pour protéger les animaux ne le serait pas pour les enfants et femmes !?
Après un an de tergiversation sur la constitutionalité d’un article de la loi C-452, le gouvernement Trudeau accouche finalement d’une souris ! Il dépose le 9 février un projet de loi, non pas sur la traite des personnes, mais sur la mise en vigueur de certains articles de C-452 ! Non seulement, il retarde encore pour un à deux ans la mise en œuvre de certaines mesures qu’il dit être en accord, mais en plus, il réintroduit un décret pour la mise en vigueur des peines consécutives, s’assurant ainsi de les éliminer par la porte de derrière.
La grande question qu’on est en droit de se poser : pourquoi ? Pourquoi ne pas avoir tout simplement émis un décret et laisser éventuellement les tribunaux statués ? Pourquoi avoir favorisé, par ce choix, le droit des criminels avant ceux des victimes ? Pure partisannerie ? Un m’en foutisme ? Position idéologique ? Pendant ce temps, tous les jours, des proxénètes et trafiquants de tout acabit recrutent, torturent, violent et font de l’argent sur des jeunes filles qui inlassablement manquent à l’appel ! Des vies sont dévastées autant celles de ces jeunes que de leurs familles ! Je laisse à votre réflexion, ces mots de Sacha, 15 ans, victime d’un proxénète : « Ils (les proxénètes) ont tué mon âme ! ».
Maria Mourani
Criminologue et sociologue
Présidente de Mourani-Criminologie
Ex-députée fédérale d’Ahuntsic