ÉDITORIAL
La véritable victime
J’aimerais pouvoir classer la CoVid-19 du président Donal Trump dans la rubrique des chiens écrasés, excusez-moi, des faits divers. Je ne le ferais pas, puisqu’à l’évidence, l’impact de son état de santé dépasse largement sa seule personne… Toutefois, cela en vaut-il vraiment la peine ?
À côté de cette pseudo-tragédie, une autre tragédie, véritable elle, avait lieu chez nous, pas très loin, ici au Québec. Une femme de 35 ans, mère de sept enfants, est morte à l’hôpital de manière suspecte. Déjà la nouvelle devrait choquer. Après tout, elle était venue pour faire soigner des maux de ventre et n’en est jamais repartie. Certes les médecins et le personnel infirmier n’ont pas la réponse à tout, ne peuvent pas sauver tout le monde de tout — la CoVid19 nous le rappelle tous les jours — mais on est en droit de se poser des questions sur l’enchainement des faits qui ont conduit à la mort brutale et inattendue de Joyce Echaquan. Et quand on creuse un petit peu, on apprend que l’« équipe soignante » lui aurait administré de la morphine, alors qu’elle avait déclaré avoir une allergie à ce produit et une condition médicale problématique (une insuffisance cardiaque). L’erreur médicale (et volontaire) n’est pas loin…
Pire, elle est morte sans sa famille à ses côtés, sous les insultes dégradantes et racistes. Et oui, nous le savons, parce que Joyce Echaquan a eu la présence d’esprit d’enregistrer une courte vidéo depuis l’hôpital de Joliette, où elle se trouvait, avant de la publier sur les réseaux sociaux. On l’entend crier pour demander à ce que l’on vienne la chercher et dire qu’elle a été droguée. Plus grave, on entend également deux autres voix de femmes, qui se répondent et lui répondent : « As-tu fini de niaiser ? » ; « C’est fini là ? » ; « Qu’est-ce qu’ils penseraient tes enfants de te voir comme ça ? » ; « T’es juste bonne pour fourrer, toi ! » ; « Après, c’est nous autres qui payons pour ça ». Pour commencer, tutoyer les malades ne se fait pas, mais on comprend qu’il s’agit là d’une forme de condescendance que l’on ne s’autorise qu’avec les personnes que l’on estime inférieures à soi. Suggérer que la patiente feinte et triche sur son état dénote aussi un manque d’empathie flagrant, quant aux deux dernières phrases, elles sont difficiles à comprendre si l’on n’a pas vécu ici. En effet, elles utilisent deux clichés ou préjugés typiquement coloniaux : les femmes autochtones ont une sexualité débridée, sauvage, animale ; et les autochtones sont des assistés chroniques, à qui nos impôts paieraient l’alcool, la drogue et la paresse.
Ah, j’avais oublié de préciser : Joyce Echaquan était attikamek. Elle est morte seule, injustement et sous les quolibets et les insultes racistes. Et ne me dites pas que vous êtes fatigués de leurs manifs, de leurs barrages et de leurs marches pour la reconnaissance de leur territoire. Le peuplement du continent américain s’est fait quasi totalement à leurs dépens aussitôt que les Européens, en la personne de Christophe Colomb, ont posé le pied sur une plage des Antilles dans les années 1490. Il y a au Canada un racisme systémique, rampant, nauséabond, mais aussi un racisme décomplexé, méchant et encouragé chez certains par le silence de leur voisinage, de leurs amis ou collègues. Ici, au Canada, en ce début de XXIe siècle, c’est tout simplement révoltant.