LETTRE
Le contrôle des armes : une question de santé publique
Le contrôle des armes à feu est couramment considéré comme appartenant au domaine du contrôle de la criminalité. Certes, les armes à feu sont étroitement liées aux crimes commis à l’aide de celles-ci — meurtres, vols à main armée, terrorisme, enlèvements, etc. — et figurent donc dans tous les débats sérieux sur la réduction de la criminalité.
Mais depuis les années 80, la communauté de la santé publique s’est avancée sur ce terrain jusque-là presque exclusivement occupé par les criminologues. C’est une perspective qui a été relativement absente dans les débats publics sur le projet de loi 64 visant l’immatriculation des armes d’épaule au Québec.
La santé publique est un domaine multisectoriel dans le cadre duquel, entre autres, les médecins et autres professionnels de santé publique, les chercheurs et législateurs travaillent conjointement afin de protéger les populations de risques évitables.
Au lieu de traiter des blessures par balles, les spécialistes en santé publique travaillent à identifier les causes et le contexte qui ont mené aux accidents et incidents qui ont causé ces traumatismes. Ces recommandations peuvent toucher autant l’amélioration des services de santé mentale et la disponibilité de maisons d’hébergement pour les victimes de violence conjugale que des politiques de retrait préventif d’armes à feu de personnes en détresse ou des normes d’entreposage sécuritaire pour tous les propriétaires d’armes.
C’est la même approche qui s’est avérée efficace pour améliorer la sécurité routière en priorisant une meilleure conception des véhicules, des routes et des lois, au lieu de seulement s’en remettre à l’éducation des conducteurs.
Lorsqu’on regarde les dommages causés par armes à feu au niveau de différents pays, on constate qu’ils affichent des taux annuels de décès par balles relativement stables, bien que ce taux puisse faire l’objet de tendances à la hausse ou à la baisse selon divers facteurs.
En d’autres mots, les quelque 30 000 décès annuels par balles aux États-Unis, année après année, ne découlent pas uniquement de circonstances individuelles et imprévisibles de chaque victime, mais plutôt d’un environnement sociétal et législatif qui, entre autres variables, accorde un accès généralement plus facile aux armes à feu.
Pour les Québécois, il importe de savoir que l’enregistrement de toutes les armes constitue la norme, et non l’exception, au sein des pays industrialisés : Afrique du Sud, Allemagne, Angleterre, Belgique, Brésil, Chine, Égypte, Espagne, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Islande, Inde, Irlande, Israël, Italie, Japon, Mexique, Pays-Bas, Norvège, Pérou, Philippines, Pologne, Portugal, Roumanie, Russie, Suède, Thaïlande et Turquie, ne sont que quelques exemples de pays qui imposent cette mesure.
Et, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), les juridictions disposant de lois plus restrictives sur les armes à feu affichent en général des niveaux plus faibles de violence par armes à feu : « les données factuelles laissent entendre que la restriction de l’accès aux armes à feu … sauve des vies, prévient les blessures et [réduit] les coûts pour la société. »
La société québécoise n’est pas exemptée de ce constat. Ici comme ailleurs, un meilleur contrôle des armes à feu protégera davantage la population de la violence armée et du suicide par balles, de ce fait, l’enregistrement des armes constitue un élément essentiel d’un contrôle des armes global et efficace.
C’est pourquoi les spécialistes en santé publique, tout comme les corps policiers, appuient eux aussi le projet de loi 64. Il en est de même pour le regroupement de Jeunes médecins pour la santé publique.
David-Martin Milot, MD, MSc
Président, Jeunes médecins pour la santé publique
Montréal