ÉDITORIAL
Le droit à la propriété en question
Dans la pyramide de Maslow, le besoin de logement (au même titre que l’emploi ou l’intégrité physique) vient en deuxième, après les besoins essentiels, physiologiques : la faim, la soif, la sexualité, la respiration, le sommeil, etc. Pourtant, dans notre société, les gens valorisent énormément l’endroit où ils habitent (région, ville, quartier, maison ou appartement). Avoir son « chez-soi » est souvent l’une des premières étapes dans la vie d’un-e jeune adulte, voire pour certains, un objectif de vie à court terme, avant même d’avoir une activité professionnelle. C’est un symbole de notre réussite sociale ou de l’image que l’on veut en donner, en tout cas.
Ici, en Amérique du Nord, les vastes espaces ont depuis les débuts de la colonisation laissé penser aux nouveaux arrivants que se loger serait facile, qu’il y avait de place en masse, comme on dit. Et avec le faible coût des matières premières, notamment du bois, plusieurs générations de Canadiens ont pu accéder à la propriété et se faire bâtir une habitation à moindre coût. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et pour longtemps, à moins qu’un changement drastique de société et de paradigme économique ne survienne. Pour les jeunes, mais pas seulement, cet accès à la propriété est aujourd’hui un rêve lointain, un espoir sans lendemain. Pourquoi ?
D’abord, parce que l’espace disponible, proche des centres-villes, partout diminue, alors que l’exode rural se poursuit ; puis, l’accès aux matériaux de construction naturels, leurs coûts d’extraction, de transformation et de transport ont naturellement augmenté au fil des décennies ; enfin, la pandémie, la crise climatique et la guerre en Ukraine ont parachevé le tout. Ah ! J’ai oublié la hausse des taux hypothécaires… Et ce que l’Europe ou certaines contrées en Asie ou en Afrique vivent depuis longtemps a fini par nous frapper… Mais veut-on vraiment de ce modèle-là de développement, d’étalement urbain qui force à l’utilisation de la voiture — parce que les transports publics peinent à suivre — et accroit un parc de logements qui ne sont que temporaires, justement parce que « cheap » et de mauvaise qualité ? Si devenir propriétaire est impossible, être locataire à vie est-il concevable, souhaitable ? Quelle alternative ?
L’une des solutions très en vogue dans les années 2010, surtout à Montréal, a été la copropriété (en indivise — vous détenez une part, mais pas un lot distinct — ou pas : les condominiums). Vous avez un-e ami-e fidèle ? Il-elle peut apporter une partie de la mise de fonds ? Alors, mettez votre argent en commun pour acheter là où vous voulez (ou presque), malgré la surenchère généralisée… Vivre à plusieurs, c’est aussi partager les frais fixes ; il y a des avantages. En revanche, en tant que propriétaire, il y a des inconvénients : l’entretien, la rénovation, les créances (taxes municipales et scolaires) sont à votre compte. Il faut donc jouer collectif.
Au fonds, le problème n’est-il pas ailleurs ? Se loger est un besoin crucial certes, mais la propriété est-elle une nécessité ? Posséder est un pouvoir de fait sur une chose, en être le-la propriétaire est un pouvoir de droit. Peut-on avoir l’un sans chercher à avoir l’autre ? Oui, cela garantit une certaine liberté, ou plutôt être libre consiste entre autres à pouvoir posséder quelque chose… auquel on finit par s’attacher : c’est le plaisir d’avoir. Dès lors, quelle place laisse-t-on à l’être ?