LETTRE
Les armes à feu et le meurtre de notre fils
Le 23 septembre dernier, j’ai finalement reçu le rapport du coroner en lien avec le meurtre de notre fils Thierry survenu le 13 février 2016, à peine six mois après qu’il ait joint les rangs de la police de Lac-Simon. Thierry était confronté à un jeune homme intoxiqué et armé qui avait des antécédents suicidaires et à qui on avait retiré ses armes à feu, mais, pour des raisons qui n’ont jamais été adressées par le coroner, à qui Thierry avait lui-même remis plus tard les armes sur ordre de son supérieur.
Cette journée tragique a changé nos vies à jamais. La souffrance, la douleur et les larmes font maintenant partie de notre quotidien. Ma conjointe Christine est dévastée et ne peut s’en remettre. Mon autre fils, Steffan, a perdu son frère, son meilleur ami et le parrain de son propre fils Charles-Antoine, qui lui a perdu son oncle bien-aimé. La fiancée de Thierry, Joannie, a perdu l’homme de sa vie. Pour nous tous, la vie ne sera plus jamais la même. Il y a un énorme trou béant que ne sera jamais comblé, comme une grave blessure qui ne sera jamais guérie.
Les proches de victimes, autant que les citoyens en général, comptent sur les instances officielles pour enquêter sur les causes et les circonstances ayant abouti à des décès évitables et faire des recommandations pour éviter des tragédies semblables. En fait, la mise en œuvre de ce genre de recommandations constitue l’un des rares développements pouvant alléger la souffrance des proches des victimes, car elle assure que notre perte n’a pas été vaine.
Mais comme d’autres enquêtes similaires, par exemple celles ayant suivi les tueries de quatre agents de la GRC à Mayerthorpe en 2005 et de trois autres à Moncton en 2014, l’enquête entourant le décès de notre fils a elle aussi fait fi des circonstances permettant à des individus instables ou mal intentionnés d’avoir accès à des armes à feu, en plus du fait que les agresseurs aient eu accès à des armes d’assaut légales. Au contraire, dans le cas de mon fils, le coroner a blâmé son « excès de confiance » et n’a émis aucune recommandation !
Ainsi, déçu et désillusionné après 19 mois d’attente et d’espoir quant au rapport du coroner, je m’adresse maintenant directement aux instances politiques en vue de faire adopter des mesures concrètes pour éviter que de tels événements ne se reproduisent. Thierry ne doit pas avoir donné sa vie pour rien, contrairement à ce que sous-entend la conclusion du coroner.
Il faut empêcher la possession d’armes par ceux qui manifestent ou qui ont manifesté des comportements suicidaires, violents, menaçants ou associés à une maladie mentale, peu importe la nature de cette dernière. Les autorités n’auraient jamais dû permettre au tueur de notre fils de ravoir des armes en sa possession. Sans la présence d’armes à feu, la situation aurait été complètement différente et Thierry ainsi que le meurtrier seraient vraisemblablement en vie aujourd’hui.
En fait, il va de soi que plus les armes à feu sont réglementées, moins il y a de chances qu’elles servent à des fins violentes. C’est pourquoi j’appuie la concrétisation des promesses électorales du Parti Libéral en ce sens, soit un meilleur contrôle des ventes (vérification obligatoire du permis, registre des ventes), un meilleur contrôle du transport des armes de poing et la pleine latitude aux contrôleurs provinciaux de rattacher des conditions de sécurité supplémentaires aux divers permis (possession privée, entreprises, foires d’armes, clubs de tir, etc.).
J’appuie tout particulièrement l’intention du gouvernement de confronter la problématique de l’accessibilité des armes à caractère militaire. Il est totalement absurde pour une société fondée sur la paix, l’ordre et la bonne gouvernance de permettre aux citoyens ordinaires de détenir des armes de guerre dont la puissance destructrice dépasse celle des équipements policiers.
Nous avons toujours été fiers du choix de carrière de Thierry et nous l’avons supporté tout le long de sa démarche. Le voir en uniforme, c’était et cela demeurera toujours une grande source d’inspiration pour nous, car il affichait ainsi sa vocation à protéger le public.
Les policiers et policières comme Thierry risquent leur vie tous les jours. En fait, 92 % des policiers qui meurent dans le cadre de leur fonction sont tués par balles. Face à ces constats, rien ne justifie l’absence d’un encadrement rigoureux et raisonnable des armes à feu.
Michel LeRoux
Father of Thierry LeRoux (1989-2016)
Chicoutimi