LETTRE
Ma mère, mon amour, mon enfant
J’ai accompagné ma mère dans ses derniers moments. Elle était à l’unité des soins palliatifs. Nous savions tous qu’elle partirait ce soir là. J’ai dû insister pour être présent. Mon père ne saisissait pas ce désir: « Pourquoi vas-tu là ? Il n’y a rien que nous puissions faire. » Pourtant, il l’aimait. Dans ma famille, la mort, on n’en parle pas, on ne la regarde pas, autant que possible, on l’occulte. Sur six enfants et plusieurs petits enfants, j’ai été le seul présent cette dernière nuit. Chez nous, le mort, c’est tabou.
Je n’en ai pas voulu à mon père ou à mes frères et sœurs. D’une certaine façon, je considère avoir été privilégié. Ce fut un grand moment d’intimité et de rapprochement. C’est comme si j’avais à la fois choisi d’être là et été choisi. Je lui tenais la main, l’écoutais, la regardais partir et pleurais sans avoir à me sourciller de ce que d’autres pourraient penser. Était-ce ma mère qui me faisait ce dernier cadeau ou moi qui lui en faisait un ?
Ma mère est décédée à 23h12. Dix minutes plus tard, les infirmières me demandaient de quitter. À l’hôpital, la mort est une procédure. J’ai refusé. Le médecin de garde a dit : « Laissez-lui une heure. » J’ai profité de ce temps pour laisser libre cour à mes sentiments et passer en revue ma vie avec cette femme. C’est à se moment que j’ai réalisé qu’elle avait été à la fois, selon les moments, ma mère, mon amour et mon enfant. Comme un ensemble de sentiments qui s’entrelacent et se mélangent tels les couleurs dans une peinture surréaliste. Une mère, pour peu qu’elle ait été présente, a toujours un grand impact sur la vie de son enfant.
Certains disent qu’au moment de la mort, notre vie défile devant nous. C’est aussi un peu le cas pour l’endeuillé. Comme s’il y avait, quelque temps après le départ de l’être cher, une explosion de souvenirs qui nous envahie le cœur et la tête. Puis, vient plus tard un certain sentiment d’apaisement et même, de plénitude.
Marcel Leclerc,
Aylmer