Nouvelles du Camino
Dans ma dernière chronique, qui remonte au 10 mai dernier, alors que ça faisait 7 jours que je marchais sur le Chemin de Compostelle, je mentionnais que j’allais donner d’autres nouvelles si je rencontrais un autre ordinateur. Or, ce n’est qu’au jour 30 que je me suis retrouvée dans un albergue (genre d’auberge de jeunesse pour pèlerins de tout âge) dans lequel il y avait un ordinateur qu’on pouvait utiliser. Un dimanche soir, 21 h, c’est mon tour à l’ordi. J’écris une chronique que je compte réviser et envoyer à l’éditrice le lendemain matin avant de quitter le refuge.
Je dors comme une roche sur le Camino, même dans les lits superposés des grands dortoirs. Eh bien, lundi matin, je me réveille en sursaut à 7 h 45 et il n’y a plus un chat dans la place. Je n’avais rien entendu, même pas le monsieur au-dessus de moi quand il est descendu du lit bruyant. Trop tard pour récupérer ma chronique dans l’ordi et l’envoyer, il fallait être sorti de l’albergue à 8 h. Je n’ai pas croisé d’autre ordinateur public, me voilà donc rendue à Aylmer et je résume ce que j’avais alors écrit :
Jour 30 sur le Chemin de Compostelle
Je suis rendue à Sarria, soit à environ 113 km de Santiago. Les ordinateurs publics sont rares sur le Camino qui passe par des petits villages qui comptent souvent beaucoup plus de vaches que de résidents. Chose amusante, souvent les vaches se promènent dans les ruelles tout comme les chiens ou les coqs.
On a beau avoir lu sur le sujet avant d’entreprendre le chemin, on ne peut pas savoir ni comprendre à moins de le vivre. De toute ma vie, c’est ce que j’ai fait de plus difficile. Tous ceux et celles, surtout celles, à qui j’en parle, peu importe leur âge ou leur nationalité, me disent la même chose. L’autre jour – ou était-ce l’autre semaine, je ne sais plus – après plus de 20 km sous le soleil (37 degrés!), j’arrive dans la cour d’un albergue et un gars était debout là, pieds nus et évidemment déjà douché. Il me regarde et me dit en anglais : « I know, it’s hard, very hard… ». J’ai fait un signe de tête sans plus et me suis rendue de peine et de misère à la réception espérant qu’il restait une place pour dormir. Fiou, j’ai un lit. Je n’ai toutefois pas dormi de la nuit à cause d’une infection importante à un orteil. Transport d’urgence vers une clinique quelques villages plus loin le lendemain matin.
J’avais pourtant mon plan B avant de partir. Si quelque chose arrive et que je ne peux plus marcher, j’achèterai un billet de train et j’irai visiter l’Europe. Mais non, une fois entrepris, le Camino a comme une « patte » sur toi. Son emprise est très forte. Ultreïa, ultreïa (plus loin, au-delà, allons)! Au fait, ça m’émeut beaucoup. Donc, antibiotiques pour l’infection et le lendemain je repartais. Je me disais que je n’avais jamais vécu rien de pareil. Mais, à bien y penser, c’est ce que j’ai fait toute ma vie… Ultreïa, ultreïa, peu importe les embuches, malgré les douleurs et les épreuves de la vie, j’ai continué d’avancer, de marcher sur le camino de cette vie dans laquelle j’ai été déposée.
Dans un texto Messenger, j’écrivais à une amie que c’était comme « remarcher ma vie ». Drôle d’affaire, le correcteur automatique de mon nouveau téléphone intelligent a changé remarcher pour démarcher lors de l’envoi. L’amie me répond : « démarcher? ». Je réponds « non, remarcher » et le correcteur s’active à nouveau. Alors voilà, je me suis dit que je démarchais donc ma vie. C’est sûrement un signe (!). On devient un peu dingue sur le Camino. Il y a des « signes » qu’on ne peut s’empêcher de voir ou de reconnaître ou encore de s’inventer.
Depuis Pamplona (600 km d’ici), il y a des coquelicots au bord du chemin qui ne cessent de me chuchoter « Je me souviens », comme un mantra. Ils sont toujours là. Un autre signe. Je me souviens de quoi, bâzouelle? Conclusion de pèlerine quasiment en transe : « Si je démarche ma vie, je me souviendrai donc de qui j’étais avant de l’entreprendre. Super! » J’te l’dis, on devient un peu dingue sur le Camino. Ça fait rire et ça fait pleurer.
Aujourd’hui, j’ai marché 20 km, d’abord dans le brouillard (ou était-ce dans les nuages?), en suite en plein soleil pour finir dans un gros orage avec pluie, vent, tonnerre et éclairs. J’ai chanté presque tout le long, jonglé à la majorette avec mes bâtons de marche et j’en passe. Un état de bonheur et de plénitude comme j’en avais rarement vécu. Ça valait la peine de poursuivre.
Je te reviens bientôt avec d’autres nouvelles en retard.
Carolle Bertrand est native d’Aylmer – chanteuse/musicienne, artiste visuelle, chroniqueuse. Pour en savoir plus et pour lire les chroniques précédentes, visitez son espace sur le Web http://carollebertrand.canalblog.com
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