Au bord de la rivière des Outaouais
Un projet de gestion des déchets radioactifs soulève des préoccupations
Laurent Robillard-Cardinal et Allyson Beauregard
D’ici quelques années, une installation de gestion des déchets radioactifs (IGDPS) pourrait voir le jour à un kilomètre de la rivière des Outaouais. Ce projet a été proposé par la société Laboratoires Nucléaires Canadiens (LNC) qui opère les Laboratoires Chalk River (LCR) de l’autre côté de la rivière des Outaouais à la hauteur du Haut-Pontiac.
Le projet d’installation de gestion des déchets près de la surface vise à aménager une installation de gestion des déchets radioactifs sur le site des LCR. L’installation s’étendra sur environ 34 hectares et fera 18 mètres de hauteur – un ‘monticule artificiel’ près de la surface sur le site de Chalk River. On s’attend à ce que l’installation soit opérationnelle pendant environ 50 ans, bien que les matières radioactives aient une durée de vie beaucoup plus longue.
« Environ 95% des déchets sont déjà ici (à Chalk River). Nous avons accumulé des matières depuis des décennies. C’est ce qui s’en ira dans l’IGDPS. Nous considérons démolir plus de 100 structures et les déchets de démolition… seront entreposés ici aussi », dit Patrick Quinn, porte-parole des LNC, un consortium de cinq corporations.
Approbations nécessaires
Les LNC prévoient que l’installation entrera en activité en 2020, mais la société a besoin de l’approbation de la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) qui réglemente l’utilisation de l’énergie et des matières nucléaires. La Commission de la CCSN compte jusqu'à sept membres nommés, dont les décisions sont soutenues par plus de 800 employés. Ceux-ci font l'examen des demandes de permis selon les exigences réglementaires et font également des recommandations à la Commission.
En vertu de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale (2012), le projet doit faire l’objet d’une évaluation environnementale (EE) avant que la CCSN puisse rendre une décision d'autorisation. L'évaluation, qui a débuté le printemps dernier, devra confirmer que les activités n'auront pas de répercussions graves sur l'environnement.
Préoccupations d’organismes locaux
Le Dr. Ole Hendrickson, chercheur pour Concerned Citizens of Renfrew County and Area, dit que la décision de la CCSN doit être rendue en janvier 2018 ; il considère que cette décision pourrait créer un précédent.
« Il s’agit du premier projet au Canada qui disposerait de déchets radioactifs de manière permanente – sans intention de les retirer ou d’effectuer des contrôles après la période initiale de 50 années d’activités », a-t-il dit au Bulletin. Le projet de Chalk River inquiète également Johanna Echlin, de l’association de propriétaires de chalets Old Fort-William Cottagers Association.
Pour avoir fait affaire avec la CCSN dans le passé, le Dr. Hendrickson se dit méfiant de leur objectivité. « Nous croyons que la CCSN a des liens très étroits avec l’industrie nucléaire. Les affaires publiques de la CCSN et des LNC s’entendront pour décider quelles informations seront rendues publiques », a-t-il dit, suggérant que les informations sur le projet sont intentionnellement limitées.
« Dans la description du projet il y a une phrase qui indique la possibilité que “l’installation de gestion des déchets près de la surface (IGDPS) accepte aussi de très petites quantités de déchets radioactifs de moyenne activité et des déchets mixtes” ce qui ne permet pas une compréhension claire du projet. L’évaluation environnementale doit inclure des détails quant aux déchets proposés », écrit le Dr. Hendrickson dans un rapport.
M. Quinn des LNC a dit que tout est public et transparent et que l’information est disponible: « Nous avons déjà discuté avec des groupes tels que l’association Old Fort-William Cottagers Association. Le cadre réglementaire pour permettre ce projet est aussi un processus public. Les gens auront l’occasion de voir les documents de l’évaluation environnementale et pourront faire des commentaires et participer. Le public peut aussi communiquer avec nous directement. Nous avons déjà tenu 14 séances d’information publiques et sept autres sont prévues », a-t-il ajouté.
Le Dr. Hendrickson se demande pourquoi il y a si peu d’information sur les objectifs de cette installation et sur ses activités commerciales. « Est-ce que des déchets provenant de réacteurs nucléaires canadiens seront envoyés à cette installation ? », se demande-t-il. M. Quinn a répondu que les déchets provenant d’autres réacteurs nucléaires ne figuraient pas sur la liste.
Toutefois, M. Quinn a ajouté que les déchets provenant d’autres sites seront minimes. « Il a été question d’accepter des matières de Whiteshell Laboratories, basé au Manitoba, actuellement en cours de déclassement et il y a la possibilité d’accepter une petite quantité de matières de réacteurs prototypes, dont Douglas Point (Manitoba) et Gentilly – 1 (Québec). » M. Quinn dit que ces déchets appartiennent déjà à Énergie atomique du Canada limitée (EACL).
EACL est une société d’État fédérale ayant le mandat de s’acquitter des responsabilités du gouvernement du Canada en matière de déclassement et de gestion des déchets radioactifs et de réaliser des travaux scientifiques et technologiques nucléaires. EACL réalise son mandat par le biais d’une entente contractuelle à long terme avec l’Alliance nationale pour l’énergie du Canada (ANEC) pour la gestion et l’exploitation des LNC. EACL n’a pas retourné notre appel.
Survivre à des centaines d’années
Mme Echlin de l’association des propriétaires de chalets se pose des questions quant à la durabilité des installations. « Y a-t-il un revêtement qui peut survivre à notre climat et aux tremblements de terre pour une période aussi longue? Au bout du compte, je crois que nous allons payer le prix pour ce projet. »
Elle est certaine que le revêtement sera, un jour, perforé. « Le projet d’installation est situé dans des milieux humides bas entourés d’eau. Je crois qu’éventuellement une substance va s’échapper et se retrouver dans la rivière. Le site est situé sur une ligne de faille au-dessus d’un substrat rocheux poreux. »
Selon M. Quinn, les craintes de Mme Echlin sont infondées. « Environ 2 800 personnes sont à l’emploi de LCR et la majorité d’entre nous habitent près de la rivière des Outaouais. Nous avons examiné la question d’événements climatiques extrêmes et d’activité sismique et le projet est conçu afin de résister aux conditions météorologiques extrêmes. » Il ajoute que le projet inclut des systèmes de collecte du lixiviat et de détection des fuites, des systèmes de surveillance environnementale, et une usine de traitement des eaux usées.
Le Dr. Hendrickson croit que la décision d’abandonner des déchets radioactifs de ce genre devrait être examinée par des élus et non simplement par des technocrates.
M. Quinn répond que « 95% des matières sont déjà ici (sur le site de Chalk River) et avec ce projet nous allons les placer dans un endroit plus sécuritaire. » Selon lui, il est préférable d’avoir un site permanent qui permettra de corriger certaines lacunes sur le site.
Impliquer les municipalités
L’association des propriétaires de chalets a adopté une résolution pour dire qu’elle « s'oppose fermement à ce que Chalk River accepte des déchets radioactifs de l’extérieur de la région. »
En décembre 2016, la municipalité de Sheenboro a adopté une résolution semblable contre l’importation de déchets radioactifs à Chalk River. Toutefois, rejoint par le Bulletin, la mairesse Doris Ranger n’a pas voulu commenter ce projet. « C’est difficile pour les maires puisque certains de leurs résidents travaillent à Chalk River », dit Mme Echlin.
La position de la MRC de Pontiac
Selon le préfet de Pontiac, Raymond Durocher, la MRC n’interviendra pas dans l’évaluation et ne « formulera pas d’opinion » avant que l’évaluation soit complétée et qu’un rapport soit rendu public. Il dit que la MRC suit cette affaire de près puisque l’installation sera située près de la rivière des Outaouais.
M. Durocher dit que les principales questions concernent la grandeur du site, les garantis en place, les analyses de l’eau de la rivière et des réserves d’eau souterraines ainsi que des préoccupations concernant la responsabilité. « Je ne pense pas que la CCSN prendra cette affaire à la légère » a-t-il dit.
À la recherche de commentaires du public
À compter du 17 mars, la CCSN invite le public à commenter l'ébauche de l'étude d'impact environnemental pour le projet d'installation de gestion des déchets près de la surface à Chalk River.